Archives mensuelles : janvier 2012

The Green Factory, un livre de photographies
de Pierre Bessard.

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Depuis plusieurs années Pierre Bessard prend en photo des hommes et des femmes au travail et c’est cette relation de l’individu à son travail, de nature bien particulière, qui m’a donné l’idée de départ pour le design de ce livre.

Je souhaitais un livre à deux lectures. Une première lecture repose sur la juxtaposition de photographies de l’usine – une usine Alstom à Chatanooga, aux USA – à fond perdu, comme dépassant du livre. Les photographies sont souvent à la limite de l’abstraction, avec des gammes de couleurs proches de celles du mouvement De Stjil. Des extraits de textes sont mis en scène de façon spectaculaire, comme de la parole brute liée à de la matière brute ; une parole qui dit un rêve, si simple, si banal, d’avoir une vie sécure et confortable, et pourtant toujours inaccessible à tant de personnes sur terre. Ensuite, le lecteur est invité à ouvrir la page, comme on ouvre une porte, pour découvrir l’intimité de la vie des familles et c’est là, que s’offre la seconde lecture, lenteur imposée, presque respectueuse.

L’intérieur est composé AW Conqueror, créé par Jean François Porchez, une sériale de titrage qui offre des variations de style, toutes dessinées sur la même base, ce qui donne une unité à l’ensemble toute en permettant d’individualiser la parole de chacun (plus d’infos sur ce caractère ici). En couverture, c’est le Casey Script de Leslie Cabarga qui donne forme au rêve américain.

 

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Le livre : la pensée à échelle humaine.

Le travail du graphiste.
Le livre est un objet vivant qui s’anime dès que l’on tourne ses pages. Son histoire est déjà longue, et, si la bibliophilie privilégie l’étude de sa “décoration” – si belle soit-elle –, elle oublie souvent de mettre en lumière un autre aspect beaucoup plus modeste mais tout aussi intéressant : son architecture, sa construction interne, sa mise en pages. Le travail du graphiste réside en la conception de cette structure ; il doit imaginer la charpente de l’ouvrage, une charpente invisible qui va assurer la stabilité et l’homogénéité de la totalité, et animer les pages, les unes après les autres. Il doit orchestrer un bien étrange dialogue, dialogue dont l’un des protagonistes sera toujours absent : jamais l’auteur et le lecteur ne se feront réellement face et c’est bien la page qui deviendra l’espace de matérialisation de cette rencontre virtuelle.
Le graphiste installe un vocabulaire visuel plus ou moins marqué, qui fonctionne comme un code, discret mais réel, définit un émetteur mais aussi un public ; même si son travail est moins visible, il intervient sur la présentation du texte tout comme le fait un metteur en scène de théâtre. Il peut lui être fidèle ou le trahir.

La construction de la page.
Lit-on un livre comme on écoute un discours ? La mise en pages n’est-elle que la retranscription de la linéarité de la parole ? Non.
Si l’on considère les multiples phases de construction dans l’écriture même, les étapes de formulation et de reformulation de la pensée, on peut considérer la mise en page comme la dernière mise en forme du texte, où, par l’effet physique de l’impression, se dégage une dimension de pérennité, même si celle-ci n’existe vraiment que jusqu’à la prochaine édition. Il ne peut y avoir de texte sans construction, le livre est un objet construit. Les codes de mise en pages diffèrent également selon les publics auxquels on s’adresse. Plus celui-ci sera délimité et petit, plus l’expérimentation sera possible. Le lecteur va recréer un espace de lecture selon les possibilités qui lui seront données. C’est à tous les fabricants du livre de décider du “degré d’ouverture” du texte, de son accessibilité. Certains livres semblent se fermer, interdire la lecture ou, du moins, la transformer en quelque chose de difficile (le savoir ça se mérite !), d’autres, au contraire, provoquent la vision, aident à la communication des idées en invitant à la réflexion et à la réaction.

La façon de lire évolue avec l’époque.
La forme de l’imprimé est le témoin de la société qui le produit : fut une époque où la glose – le commentaire – était plus importante dans la page que le texte de référence. Certaines de nos mises en pages contemporaines, très fragmentées, où l’attention du lecteur doit passer d’un sujet à l’autre, sans être sollicitée très longtemps, s’inspirent du “zapping” télévisuel et internet, qui est devenu un mode de “consommation” de référence de l’information. Dans les deux cas, plusieurs discours co-existent sur la même page.

Page de la Divine Comédie de Dante, XIIIe siècle. Le texte est au centre, les gloses l’entourent.

Extraits des numéros, 30, 31 & 34 de la revue Emigre, 1994/95, qui fut le porte parole de la déconstruction dans les années 90. Sur la page, plusieurs discours. Pour en savoir plus sur Emigre : http://www.emigre.com.

Le manuscrit était encore conçu à échelle humaine, il fixait une connaissance susceptible de rester en mémoire d’un seul individu. Peu à peu, avec le développement de l’imprimé, cette mémoire va s’extérioriser, devenir collective, allant jusqu’à se matérialiser sous forme d’une machine. La pensée n’est plus accessible que par “petits bouts” et le lecteur va devoir recourir à différents moyens pour s’orienter dans un contenu de plus en plus foisonnant. Les index et tables deviennent de véritables outils, à construire également pour organiser la consultation de l’ouvrage. Depuis une dizaine d’années, alors que l’écran rivalise de plus en plus avec le papier, la déconstruction n’est plus au goût du jour et beaucoup de livres revendiquent une sobriété nécessaire, un calme volontaire, pour revenir à la relation première du “dialogue” auteur/lecteur, afin de provoquer une pause, cadre matériel de la réflexion, dans le flux perpétuel d’informations qui nous entoure.

© aux différents auteurs.

bibliographie
VanderLans Rudy, Licko Zuzana, Emigre (the book), Graphic Design into the Digital Realm, Van Nostrand Reinhold, New York, 1995
Zali Anne (dir.), L’Aventure des écritures : la page, Bibliothèque nationale de France, Paris, 1999

 

Les mots dans la peau, de la caresse à la scarification.

Dans le film de Peter Greenaway, The Pillow Book, 1996, Nagiko, fille de calligraphe, demande à ses amants d’écrire sur sa peau… L’écriture et la sensualité ont souvent été mêlées. La plume caresse, le sens se dévoile, il suffit de pousser le fantasme (plus d’infos sur le film ici). 

1996. The Pillow Book, un film de Peter Greenaway

Dans ce clip de Tom Waits, on bascule du côté du sang et des larmes. L’encre est une humeur plutôt qu’une parure. Sur la page You Tube quelqu’un a laissé ce commentaire : If this was me in thé video, I would never shower.

1999. Comme on Up to the House, un clip de Anders Lövgren pour Tom Waits.

En 1996, Stefan Sagmeister avait utilisé le même procédé pour une affiche pour Lou Reed. À ce propos il écrit : I went to a show in Soho by middle Eastern artist Shirin Neshat. She used arabic type written on hands and feet. It was very personal. When I came back I read Lou’s lyrics for Trade In, a very personal song about his need to change. We used his lyrics written on his face.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

En 1999, Il ira jusqu’au bout de cette idée en “gravant” le texte annonçant une de ses conférences pour cette affiche : For this lecture poster for the AIGA Detroit we tried to visualize the pain that seems to accompany most of our design projects. Our intern Martin cut all the type into my skin. Yes, it did hurt real bad.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Plus d’infos sur Sagmeister ici et ici.

Pour terminer, un hommage à Tibor Kalman qui, avec Emily Oberman, conçut ce clip pour les Talkings Heads, en 1988, quand David Byrne était “an angry young man”.

 

© aux différents auteurs.

Des mots logos : DVNO, le clip de Justice par Machine molle & So Me, Enter the void, le générique, de Gaspar Noé.

Encore deux travaux cultes dans le domaine… Après le clip de D.A.N.C.E., qui déjà intégrait lettrages et graphisme, Machine molle et So Me détournent des logotypes très 80’s dans une ambiance ultra sophistiquée.

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Les clips, désormais cultes, La tour de Pise, de Michel Gondry & The child, par les H5


1993. Oui, là, je sais, on a beau être très ouvert musicalement… c’est très dur… mais ce clip était une petite révolution à l’époque et il tient les années, il est toujours très beau et très drôle. Pour plus d’infos sur Michel Gondry -> ici et ici.


1999. Les H5 prennent le relais avec ce clip qui fait sensation et lance leur carrière. Plus d’infos sur les H5 -> ici et ici.
© aux différents auteurs.

Aimer voir, un livre d’Hector Obalk
aux éditions Hazan.

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J’ai toujours espéré qu’on puisse lire un livre d’art dans son lit, d’où le format choisi pour celui-ci, suffisamment petit pour qu’il soit maniable comme un roman et suffisamment grand pour qu’il réponde aux attentes du “beau-livre”. Il est composé d’articles qui furent plus souvent plus longs à mettre en page qu’à écrire car j’essayais de faire en sorte que pour chacun d’entre eux, le choix des images et le propos du titre suffisent à laisser deviner la teneur de la démonstration.

Ainsi débute les avertissements qui ouvrent le nouvel ouvrage d’Hector Obalk. Le pari est réussi.

Sensible à la typographie, pour reprendre le titre d’une série de conférences qu’il fit à Beaubourg il y a quelques années, Hector Obalk nous guide et nous accompagne à la découverte de sept notions qui permettent de revisiter ou de découvrir l’histoire de l’art.

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Les sommaires imbriqués dans le texte courant sont une des belles trouvailles de cet ouvrage. Toujours fidèle aux Minimum (le caractère carré) et Gararond (le caractère rond) créés par Pierre di Sciullo, Hector Obalk adopte une composition en drapeau (le texte est aligné à gauche), ponctuée de pieds de mouche (¶) indiquant les paragraphes, généreusement interlignée, à largeur variable, de façon à occuper, le plus possible, la même hauteur dans la page.

De la même façon qu’il repense le documentaire à la télévision – voix off et analyses mêlées à des prises de vues sur le vif avec commentaires spontanés – Hector Obalk utilise tous les potentiels de la mise en page pour donner à voir son propos. Vraiment. Comme s’il montrait du doigt certaines parties de l’œuvre en nous disant “regarde, tu as vu, ce qui se passe là ?”.

Tout s’articule autour du module de la double page qui définit le territoire d’un propos, un thème. Deux points d’entrée sont proposés : le titre du texte et l’œuvre étudiée, pour laisser ensuite la parole à l’image tout d’abord, au texte ensuite.

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Mosaïque….

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cadrages et gros plan avec effet de zoom…

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promenade dans le tableau à la façon d’une bande dessinée…

… en nous livrant son expérience intime et savante à la fois, Hector Obalk nous renvoie à notre propre expérience, à nos jugements, notre sensibilité. Un propos inédit sur l’art, une mise en forme inédite, où chacun trouvera un nouveau champ de contemplation, un aspect de l’œuvre qu’il n’avait pas “vu” jusqu’alors et qu’il “aimera voir” désormais.

29,90 euros, 256 pages, 100 illustrations.
à propos de ce livre : http://ma-tvideo.france2.fr/video/iLyROoafrzOG.html
à propos de Grand’art : http://www.arte.tv/fr/2469020,CmC=2479284.html