Archives mensuelles : août 2012

Le Jenson et ses descendants.

Nicolas Jenson (1420–1480), graveur au service du roi de France, Charles VII, est envoyé par celui-ci à Mayence pour s’enquérir du nouveau procédé d’impression. Il s’établit ensuite à Venise, où il dirige une des principales imprimeries. Renouant avec l’Antiquité, les lettrés Italiens considèrent alors les lettres lapidaires romaines comme le dessin idéal des capitales; la minuscule carolingienne, influencée par les proportions de la Rotunda alors en usage, sert de modèle à l’écriture courante, dite humaniste, de la Renaissance. Jenson s’en inspire pour graver un alphabet qui devient la référence première de l’histoire de la typographie latine. Il est désigné sous l’appellation de “romain” qui nommera désormais les caractères droits.

 
Le Jenson est devenu le symbole de la famille des humanes, caractérisée par un relativement faible contraste entre les pleins et les déliés, un axe oblique, propre aux caractères issus de la calligraphie, et des empattements triangulaires forts et marqués.

À la fin du dix-neuvième siècle, William Morris, socialiste convaincu, façonne en Angleterre une nouvelle philosophie des arts appliqués et crée le mouvement Arts and Crafts. À la nouvelle civilisation machiniste qui broie toute une fraction de la société et avilit l’ouvrier réduit à des tâches répétitives, Morris oppose le modèle de société et l’artisanat du Moyen âge, quand les artisans étaient tous des artistes et que la division entre art majeur et art mineur n’existait pas. Promouvoir les arts décoratifs est pour lui la seule façon de créer un art démocratique.

En 1890 la firme Morris and Co, qui se consacrait jusque là à la production de meubles, de papiers peints, de vitraux et de tapisseries, agrandit son domaine d’activité à l’imprimerie. William Morris fonde la Kelmscott Press et applique alors ses idées à l’art du livre et relance l’intérêt pour les caractères du quinzième siècle : les incunables (livres imprimés avant 1500) sont pour lui le modèle idéal du livre : J’avais déjà remarqué que leur beauté venait uniquement de leur typographie, indépendamment de leur abondante ornementation. De là ma décision de produire des livres qu’il serait agréable de regarder, aussi bien à cause de la qualité de l’impression que de la beauté de la typographie (Contre l’art d’élite, p. 11).

Son désir de perfection le pousse à dessiner ses propres caractères; il a pour collaborateur le graveur de poinçons Edward Prince et bénéficie des conseils de Emery Walker. Le premier alphabet dessiné par William Morris est le Golden : il utilise des agrandissements photographiques du Jenson qu’il retravaille dans sa propre direction. Le Golden, avec ses empattements marqués rappelant ceux des mécanes, apparaît plus gras que le modèle. Le second alphabet est créé en deux tailles et prend les noms de Troy et Chaucer.

Le Chaucer, source : http://www.mccunecollection.org/kelmscott_chaucer.html
Le Golden type, source : http://www.bloomsburyauctions.com/detail/35916/39.0

Bruce Rogers est considéré comme un des grands artistes du livre et quand il se penche sur la création de caractère dans les années 1900, c’est aussi le Jenson qu’il choisit comme modèle, en l’étudiant à partir d’une reproduction de De Praeparatione Evangelica d’Eusèbe, imprimé à Venise en 1470. Après une première expérience qui ne le satisfait pas totalement, il retrouve Emery Walker et se remet au travail pour aboutir un nouveau caractère qui prendra le nom de Centaur. When I made the Centaur type I enlarged Jensons’s and wrote over the print with a flat pen – just rapidly as I could – then I selected the best (?) of my characters and touched  them up with a brush an white – (no black) just about as much as a punch-cutter would do with a graver – and the type was cut frome these patterns (cité par Alexander Lawson, in Anatomy of a typeface, Hamish Hamilton, p.67).

 

L’Adobe Jenson de Robert Slimbach (1996) fait partie de ses nombreux revivals de caractères classiques. Sa version Opentype est très complète, petites capitales, italiques ornées, développées en 4 graisses.

 

L’ITC Legacy, créé par l’American Ronald Arnholm en 2009, a aussi pour modèle l’original du Jenson mais semble plus proche d’une garalde même s’il reste fidèle à la structure générale du caractère. Cela est surtout dû à son italique issue des modèles du seizième siècle, donc plus tardifs (pour l’italique la référence est au choix du designer, Nicolas Jenson n’en ayant pas dessiné).

 

Jim Spiece signe également un Nicolas Jenson pour FontHaus ; il a gardé les empattements si particuliers du M capitale, et possède italique ornée et version open.

 

La typographie et la composition manuelle.

Le terme de typographie est à l’origine employé pour définir les impressions obtenues par le relief. Spécifiquement, il désigne la composition de textes à l’aide de caractères mobiles fondus dans un alliage de plomb, d’antimoine et d’étain et coulés dans des matrices, obtenues à partir de poinçons originaux gravés en acier trempé.

La gravure du poinçon, la frappe de la matrice et la fabrication du caractère plomb.
Source : Museum Plantin-Moretus.

Le caractère en plomb est un parallélépipède qui porte sur sa partie supérieure le relief de la lettre à l’envers. Plusieurs termes techniques servent à définir son identité. “La chasse” est la largeur du caractère qui varie d’une lettre à l’autre dans un même alphabet (le “m” chasse plus que le “t”) et aussi d’un alphabet à l’autre (un alphabet étroit chasse moins qu’un alphabet normal). “L’approche” est à l’origine directement liée à la fabrication des caractères : c’est la distance entre le dessin de la lettre et le bord du bloc de métal. Déterminée au départ, elle donnait un espacement entre les lettres fidèle au désir du créateur. “Le corps” est une valeur numérique associée à la hauteur de la lettre.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Une ligature. Source : http://commons.wikimedia.org

Le vocabulaire utilisé de nos jours en typographie provient directement des premières heures de l’imprimerie. Ainsi le terme de “bas de casse” qui désigne les minuscules trouve son origine dans le placement de ce type de caractères dans la partie inférieure de la “casse” du compositeur.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le matériel typographique est également constitué d’éléments non imprimants : les espaces qui déterminent les inter-mots, les interlignes qui sont des lames séparant les lignes de texte, les lingots qui permettent de composer les blancs (fin de page ou marge) et enfin les filets et vignettes.

 

 

 

 

 

 

 

Vignettes. Source : www.expotec103.com.

Le compositeur typographe compose une à une les lignes du texte dans un composteur. Celles-ci sont ensuite interlignées et justifiées si nécessaire (la justification consiste à répartir des blancs entre les mots pour obtenir des lignes de longueurs égales). Le compositeur dépose ses lignes sur une forme appelée galée. Une fois le pavé fini, l’ensemble est lié solidement et installé sur le marbre.

Les principes de la composition manuelle remontent à l’invention de l’impression à partir de caractères mobiles en Europe par Gutenberg vers 1450.

 

Un composteur. Source : www.expotec103.com.

 

 

 

 

 

 

Gros plans sur 2 textes composés. Source : www.expotec103.com.

presse typo à deux coups, XVIIIe siècle.MAM

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Presse typographique à deux coups, XVIIIe siècle. MAM

Le fonctionnement de la presse typographique à deux coups.
les matrices de Garamond. Musée Pantin

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les matrices du Garamond. Musée Plantin. Source http://www.unostiposduros.com

Un atelier fonctionnant sur les mêmes principes qu’au 15e siècle.

Depuis quelques années, des ateliers de composition refleurissent ici et là, donnant lieu à de multiples expérimentations. Le studio A2-Type et l’atelier londonien New North Press ont travaillé à la création d’un caractère en relief obtenu en impression 3D. À partir de l’étude de caractères décoratifs du 18e siècle, Henrik Kubel et Scott Williams ont imaginé une fonte en grand corps dont les multiples détails se dévoilent de près. Les techniques anciennes rejoignent les avancées les plus pointues.

Danse et expériences numériques par Antigone Debbaut.

il affronte

tendre
s'exalte
Pour sa thèse de fin d’études à l’Esag-Penninghen, Antigone Debbaut a choisi de faire le lien entre son expérience de la danse et son travail de graphiste. Elle nous explique son projet :

Je cherche à trouver un autre moyen “d’entrer” dans la danse; pouvoir la lire et la ressentir d’une façon nouvelle, et ainsi donner des clés au spectateur grand public. L’application traite les données vidéo d’une danse et analyse les mouvements et les émotions qui s’en expriment. 
Dans “Danse exquise”, chaque partie du corps est associée à différentes catégories d’émotions. À partir de là le programme associe différents mouvements à des groupes de mots et d’émotions ou d’actions, pour en créer un cadavre exquis textuel. Un premier adjectif est défini par les mouvements de la tête, un deuxième adjectif par les mouvements du torse et bras, le sujet, fixe, est le danseur et le verbe est défini par les mouvements des jambes.

Dans “Tableau dansé”, les différentes parties du corps animent plusieurs formes de base. En l’absence de mouvement, chaque partie est représentée par un point, d’où elles se développent de façon concentrique, et s’étendent en suivant les mouvements du danseur. Le cercle intérieur est animé par la tête, celui du milieu par le torse et les bras et le cercle extérieur par les jambes. Les différentes couleurs associées à la forme expriment les états d’esprit et les émotions des différentes parties du corps.

Un livre complète ce travail, une notice basée sur les théories de François Delsarte, chanteur et théoricien du XIXe siècle, et expliquées pour la danse par Ted Shawn, danseur américain du début du XXe siècle.

Pour voir le reste de son travail, c’est ici : http://cargocollective.com/antigone-debbaut