Archives du mot-clé Jenson

Le Jenson et ses descendants.

Nicolas Jenson (1420–1480), graveur au service du roi de France, Charles VII, est envoyé par celui-ci à Mayence pour s’enquérir du nouveau procédé d’impression. Il s’établit ensuite à Venise, où il dirige une des principales imprimeries. Renouant avec l’Antiquité, les lettrés Italiens considèrent alors les lettres lapidaires romaines comme le dessin idéal des capitales; la minuscule carolingienne, influencée par les proportions de la Rotunda alors en usage, sert de modèle à l’écriture courante, dite humaniste, de la Renaissance. Jenson s’en inspire pour graver un alphabet qui devient la référence première de l’histoire de la typographie latine. Il est désigné sous l’appellation de “romain” qui nommera désormais les caractères droits.

 
Le Jenson est devenu le symbole de la famille des humanes, caractérisée par un relativement faible contraste entre les pleins et les déliés, un axe oblique, propre aux caractères issus de la calligraphie, et des empattements triangulaires forts et marqués.

À la fin du dix-neuvième siècle, William Morris, socialiste convaincu, façonne en Angleterre une nouvelle philosophie des arts appliqués et crée le mouvement Arts and Crafts. À la nouvelle civilisation machiniste qui broie toute une fraction de la société et avilit l’ouvrier réduit à des tâches répétitives, Morris oppose le modèle de société et l’artisanat du Moyen âge, quand les artisans étaient tous des artistes et que la division entre art majeur et art mineur n’existait pas. Promouvoir les arts décoratifs est pour lui la seule façon de créer un art démocratique.

En 1890 la firme Morris and Co, qui se consacrait jusque là à la production de meubles, de papiers peints, de vitraux et de tapisseries, agrandit son domaine d’activité à l’imprimerie. William Morris fonde la Kelmscott Press et applique alors ses idées à l’art du livre et relance l’intérêt pour les caractères du quinzième siècle : les incunables (livres imprimés avant 1500) sont pour lui le modèle idéal du livre : J’avais déjà remarqué que leur beauté venait uniquement de leur typographie, indépendamment de leur abondante ornementation. De là ma décision de produire des livres qu’il serait agréable de regarder, aussi bien à cause de la qualité de l’impression que de la beauté de la typographie (Contre l’art d’élite, p. 11).

Son désir de perfection le pousse à dessiner ses propres caractères; il a pour collaborateur le graveur de poinçons Edward Prince et bénéficie des conseils de Emery Walker. Le premier alphabet dessiné par William Morris est le Golden : il utilise des agrandissements photographiques du Jenson qu’il retravaille dans sa propre direction. Le Golden, avec ses empattements marqués rappelant ceux des mécanes, apparaît plus gras que le modèle. Le second alphabet est créé en deux tailles et prend les noms de Troy et Chaucer.

Le Chaucer, source : http://www.mccunecollection.org/kelmscott_chaucer.html
Le Golden type, source : http://www.bloomsburyauctions.com/detail/35916/39.0

Bruce Rogers est considéré comme un des grands artistes du livre et quand il se penche sur la création de caractère dans les années 1900, c’est aussi le Jenson qu’il choisit comme modèle, en l’étudiant à partir d’une reproduction de De Praeparatione Evangelica d’Eusèbe, imprimé à Venise en 1470. Après une première expérience qui ne le satisfait pas totalement, il retrouve Emery Walker et se remet au travail pour aboutir un nouveau caractère qui prendra le nom de Centaur. When I made the Centaur type I enlarged Jensons’s and wrote over the print with a flat pen – just rapidly as I could – then I selected the best (?) of my characters and touched  them up with a brush an white – (no black) just about as much as a punch-cutter would do with a graver – and the type was cut frome these patterns (cité par Alexander Lawson, in Anatomy of a typeface, Hamish Hamilton, p.67).

 

L’Adobe Jenson de Robert Slimbach (1996) fait partie de ses nombreux revivals de caractères classiques. Sa version Opentype est très complète, petites capitales, italiques ornées, développées en 4 graisses.

 

L’ITC Legacy, créé par l’American Ronald Arnholm en 2009, a aussi pour modèle l’original du Jenson mais semble plus proche d’une garalde même s’il reste fidèle à la structure générale du caractère. Cela est surtout dû à son italique issue des modèles du seizième siècle, donc plus tardifs (pour l’italique la référence est au choix du designer, Nicolas Jenson n’en ayant pas dessiné).

 

Jim Spiece signe également un Nicolas Jenson pour FontHaus ; il a gardé les empattements si particuliers du M capitale, et possède italique ornée et version open.