Les mots en liberté futuristes. 1. L’Italie.

Les mots en liberté naissent dans un monde où tout va plus vite. Les futuristes italiens vouent un véritable culte à la machine, à la vitesse, au progrès technique, qui invitent à se projeter dans l’avenir et modifient non seulement la production, mais aussi le comportement individuel et la sensation même de l’univers. L’inspiration futuriste ne naît pas dans l’atelier mais dans la rue. Les poètes et les peintres sont à la recherche de la «radicalisation de l’expérience sensible». La multiplication des caractères employés pour composer le texte, la conquête spatiale de la page, l’explosion phonétique, les recherches «bruitistes», les utilisations d’onomatopées font de la nouvelle typographie expérimentale le reflet du monde quotidien qui noie l’homme dans la technique, les signes et l’information. La langue explose, l’alphabet se désarticule, la lecture devient mosaïque et les artistes détruisent la linéarité de l’écriture classique.

Le groupe est officiellement fondé à Milan en 1910 par les peintres Giacomo Balla, Umberto Boccioni, Carlo Carrà, Luigi Russolo et Gino Severini, qui se regroupent autour de l’écrivain Filippo Tommaso Marinetti. Poète, «agitateur culturel», «missionnaire du futurisme», «commis voyageur de l’avant-garde», Marinetti expose dans ses textes et manifestes ses concepts théoriques : Le livre doit être l’expression futuriste de notre pensée futuriste. Mieux encore : ma révolution est dirigée en outre contre ce qu’on appelle harmonie typographique de la page, qui est contraire au flux et reflux du style qui se déploie dans la page. Nous emploierons aussi, dans une même page, 3 ou 4 encres de couleurs différentes et 20 caractères différents s’il le faut. Par exemple : italiques pour une série de sensations semblables et rapides, gras pour les onomatopées violentes, etc. Nouvelle conception de la page typographiquement picturale. Il faut libérer les mots. La tâche est urgente. Pour cela, il est nécessaire de détruire la syntaxe, d’employer le verbe à l’infinitif, de supprimer la ponctuation – en la remplaçant si nécessaire par des signes mathématiques ou musicaux -, de cultiver l’analogie dans un style orchestral. L’onomatopée est plus riche que la description, et renvoie directement à la réalité, au bruit de la machine vivante. La pratique de l’imagination sans fil permet aux artistes d’entrer dans le domaine illimité de la libre intuition : Les mots délivrés de la ponctuation rayonneront les uns sur les autres, entrecroiseront leurs magnétismes divers, suivant le dynamisme ininterrompu de la pensée. Un espace blanc, plus ou moins long, indiquera au lecteur les repos ou les sommeils plus ou moins longs de l’intuition. Forme et fond sont indissociables, la forme poétique est liée à la construction de la page qui est avant tout la transcription amplifiée d’une récitation orale : Les mots en liberté se transforment naturellement en auto-illustration moyennant l’orthographe et la typographie libre expressive, les tables synoptiques de valeurs lyriques et les analogies dessinées. […] L’orthographe et la typographie libre expressive servent à exprimer la mimique du visage et la gesticulation du conteur. […] Ces énergies d’accent, de voix et de mimique, trouvent aujourd’hui leur expression naturelle dans les mots déformés et dans les disproportions typographiques correspondant aux grimaces du visage et à la forme ciselante des gestes.

L’artiste construit sa page comme un tableau où le mot, à peine vu, doit être entendu ; pour permettre cette simultanéité des perceptions visuelle et sonore, il crée des onomatopées, constituant comme une sorte de bruitage parallèle qui prend une force particulière par sa confrontation au texte courant ; il accumule les signes, utilise des caractères différents, a recours à des montages, à des collages ou encore à des clichés en relief. Il s’agit de provoquer un choc émotif par l’évocation fragmentaire d’un sujet précis, comme par exemple la guerre, dont la violence est évoquée par les caractères qui se déchirent, l’encre qui éclabousse la page, les lettres qui ressemblent à des obus et quelques mots manuscrits écrasés sous une détonation virtuelle….
Cliquez sur une image pour la voir en grand. © aux différents auteurs.

 

Ce texte est extrait d’une recherche commandée par la Bibliothèque nationale de France pour le catalogue La page, dernier volet du cycle d’exposition L’aventure des écritures.
Le site est remarquable, les catalogues également : Zali Anne, Berthier Annie (dir.), L’Aventure des écritures : naissances, Bibliothèque nationale de France, Paris, 1999/Breton-Gravereau Simone, Thibault Danièle (dir.), L’Aventure des écritures : matières et formes, Bibliothèque nationale de France, Paris, 1998/Zali Anne (dir.), L’Aventure des écritures : la page, Bibliothèque nationale de France, Paris, 1999
Autres liens :
Le livre de Marinetti : http://www.my-os.net/blog/index.php?2006/11/15/570-le-manifeste-du-futurisme
Une sélection de travaux futuristes : http://www.flickr.com/photos/migueloks/3230239584/in/set-72157612498526392/
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