Archives pour la catégorie des fonderies

T: le New York Times Style Magazine, des caractères sur-mesure de Commercial Type et une nouvelle maquette de Patrick Li.

Pour cette refonte du supplément du New York Times, au contenu éditorial élargi, Patrick Li conçoit une maquette forte, moderne et brute, en collaboration avec la nouvelle rédactrice en chef du magazine, Hanya Yanagihara. La densité du texte induit des pages fortement construites, qui s’appuient sur les créations de caractères de la Fonderie Commercial Type, dirigée par Berton Hasebe et Christian Schwartz.

 

Le Kippenberger, conçu par Berton Hasebe, est une linéale en trois largeurs, dessinée sur un schéma rectangulaire adouci.

Le Fact, imaginé par Christian Schwartz et Berton Hasebe, est une transitionnelle aux contrastes relativement faibles mais aux empattements fins, à grande hauteur d’x, déclinée en 3 corps optiques (le dessin est adapté à la taille d’utilisation du caractère). Calibrées en hauteur et largeur, les deux fontes peuvent se mélanger aisément.

© Toutes les photographies sont extraites du site Commercial Type.

Le Faune d’Alice Savoie, une nouvelle commande typographique du Cnap et de l’Imprimerie nationale.

Pages extraites du spécimen, conçu et réalisé par Alice Savoie.

La naissance du Faune.
Pour cette seconde commande publique de création de caractères, le Centre national des arts plastiques (CNAP), associé à l’Imprimerie nationale, a choisi le projet proposé par Alice Savoie lors d’un appel d’offres lancé auprès de professionnels (29 dossiers et 3 retenus). Au final, une nouvelle création, accessible à tous, est disponible en téléchargement sous licence Creative Commons depuis le 30 janvier 2018. La demande posait comme base une relation entre patrimoine et création contemporaine et c’est en se référant aux deux magnifiques ouvrages L’Histoire Naturelle de Georges-Louis Leclerc, comte de Buffon, publiée entre 1749 et 1788 par l’Imprimerie royale, et la Description de l’Égypte ou Recueil des observations et des recherches qui ont été faites en Égypte pendant l’expédition de l’armée française, commandée par Napoléon et publiée par l’Imprimerie Impériale entre 1809 et 1830, que la créatrice a posé les principes de son projet.

Puisque tous les classements typographiques, familles historiques traditionnelles, catégories d’usage, sont aujourd’hui sans cesse interrogés par les créateurs en relation avec les nouvelles utilisations et redéfinis régulièrement par les avancées technologiques, pourquoi ne pas pousser encore plus loin le principe et s’inspirer des classifications animales pour imaginer un caractère ?
Les trois personnages principaux seront donc la vipère, le bélier à queue plate et l’ibis, et à chacun d’entre eux sera attribuée un caractère, une “identité” typographique : une fine, une noire, et une italique.

Pages extraites du spécimen, conçu et réalisé par Alice Savoie.

Une série originale.
Cette référence posée, le Faune va connaître un processus de développement par interpolation, qui consiste à calculer des versions intermédiaires à partir de points de départ et d’arrivée, ici les versions fine – la vipère – et noire – le bélier. Concernant le romain, la version fine devient le “squelette” de l’ensemble. Linéaire et charpentée, elle reste destinée aux grands corps, s’affirme dans les titrages. Elle marie les charmes des premières grotesques du 19e et la rondeur des linéales humanistes, dans un schéma général légèrement étroitisé. La version noire décline le même esprit, rond et chaleureux, affirmé par la présence marquée des pleins et déliés, transformant le trait en surface qui se soumet avec grâce à cette manipulation de principe. À mi-chemin seront développées deux versions pour les textes courants, nommées “romain” et ”gras”. Ce sont les enfants sages.

 

L’italique grasse – l’ibis – n’est pas sage du tout. Au début de l’ère typographique, le romain et l’italique étaient des caractères différents, conçus à partir de modèles calligraphiques distincts mais tous deux destinés à la composition de textes courants. L’italique était privilégié pour la composition des poèmes, car étant plus étroit, il évitait les inesthétiques coupure de vers. Leur mariage ne fut pas immédiat et longtemps, on apprécia le charme des dessins d’italiques très éloignés des romains. Le Faune italique s’inscrit dans cette différence revendiquée. Il ondule, se contorsionne avec souplesse, comme un reflet évanescent du romain, dans lequel pleins et déliés accentuent sa mise en mouvement.

 

Cela fait une dizaine d’années au moins que les jeunes créateurs cherchent les rencontres insolites, scrutent les espaces inexplorés entre les familles et sous-familles traditionnelles. À la fois férus d’histoire et techniciens pointus, ils font revivre une effervescence typographique semblable à celle du 19e où les caractères de titrage les plus improbables et les plus festifs cohabitaient sans souci avec les grands classiques. Pour notre plus grand plaisir.

Informations pratiques :
Le dossier otf contient six fontes au format OpenType, qui sont les fichiers à installer sur votre ordinateur (Windows et Mac OSX).
La famille se compose de trois versions de titrage  :
Faune Display Thin (version fine)/Faune Display Black (version noire)/Faune Display Bold italic (version italique noire).
Ainsi que de trois versions de texte  :
Faune Text Regular (romain de texte)/Faune Text Italic (version italique de texte)/Faune Text Bold (gras de texte).

La famille de caractères Faune est téléchargeable et utilisable librement, par tous, de façon privée ou professionnelle, sous licence Creative Commons CC BY-ND 4.0. Cette licence autorise la libre utilisation du caractère, sous réserve de mentionner le nom de son auteur lors de son utilisation et de ne pas apporter de modification au dessin du caractère.
Exemples de mention du crédit du caractère dans les documents en faisant usage  :
Version complète  “ Le caractère Faune utilisé dans ce document a été créé par Alice Savoie dans le cadre d’une commande du Centre national des arts plastiques en partenariat avec le Groupe Imprimerie Nationale”.
Version courte “ Faune, Alice Savoie/Cnap”.

Pour télécharger les fontes, le spécimen, et accéder à l’ensemble des informations techniques :
http://www.cnap.graphismeenfrance.fr/faune/

 

Parole de créateur de caractères. Dominique Moulon de l’Epsaa s’entretient avec Jean François Porchez.

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Jean François Porchez dirige Typofonderie, une fonderie typographique créée dans les années 90. Si, au début, il ne diffuse que ses propres caractères, il accompagne maintenant d’autres créateurs qu’il commercialise également. En parallèle, il est à la tête de ZeCraft qui crée des caractères sur-mesure pour des entreprises, des marques. Créateur de caractères est la terminologie précise qu’il utilise pour définir son métier, différent du typographe, qui est l’utilisateur, souvent un graphiste qui aime la typographie, un graphiste expert en ce domaine. 

La lettre typographique n’a pas toujours la même fonction : le plus souvent, elle doit s’effacer dernière le message mais, quand elle possède une fonction identitaire, elle doit affirmer un univers, se mettre en avant et devenir la voix de l’émetteur.

Le rythme, le temps de la création typographique, est plus lent que celui du graphisme. Certains caractères deviennent intemporels, d’autres s’inscrivent directement dans une période et deviennent signes de cette époque. Un usage particulier peut leur donner un statut de référence, comme dans le cas des linéales géométriques devenues repères des marques de luxe depuis le logotype de Chanel qui fit date dans l’histoire du graphisme. En créant le Parisine, pour la RATP, dans les années 90, Jean François Porchez voulait quelque chose de doux, rond, intemporel, fonctionnel. Ce caractère a pris valeur de symbole de la ville de Paris par son usage, comme le Jhonston pour Londres et l’Hevetica pour New York.

L’invention de la courbe de Bézier au début des années 70 permet de diminuer la lourdeur du “poids” informatique de la définition de la forme. Ce type de courbe est la base du langage PostScript, né les années 80, que l’on utilise encore aujourd’hui. Si, dans un premier temps, les outils techniques ont évolué pour “rattraper” la qualité d’avant l’invention des ordinateurs, ils permettent aujourd’hui d’aller plus loin. Le texte est aussi beau qu’à l’époque de la Renaissance mais il est doté des dimensions de temps et de proportions qui sont totalement nouvelles, qui ne sont plus fixes.

Le web est un univers de lettres, de textes. À l’écran, la distinction avec/sans empattement n’a plus de sens, la qualité de l’affichage détermine le caractère, la forme si nécessaire (exemple de l’écran led qui nous fait revenir au pixel, au Bitmap, et devrait évoluer très vite). Le web et l’usage des smartphones ont promu un regain du goût pour la culture typographique, car c’est le texte qui est primordial et en parallèle, on assiste au grand retour du lettrage – lettres dessinées à la main –, lié au retour du désir, du besoin, du “fait main”. Le métier de peintre en lettres revient, plus pointu car riche de la culture mondiale et des échanges. Le goût de composer avec des caractères bois, mobiles, en atelier typographique comme à l’ancienne, résulte de ce même désir. 

L’ensemble est à retrouver ici : http://moocdigitalmedia.paris/cours/creation-typographique/

 

 

Peter Bilak présente son travail à TypeParis 2016.

Peter Bilak présente quelques unes des ses recherches – le Greta, l’History et son caractère pour le grand Paris — et les resitue dans la pratique globale du designer de caractères qui doit se projeter sans cesse pour imaginer ce que d’autres feront de ses créations dans les décennies à venir. Il aborde simplement des notions pointues permettant ainsi à tout un chacun de découvrir les enjeux de ce domaine (en anglais).
 

Typotheque (NLD), la fonderie et le studio graphique de Peter and Johanna Bilak.

Scriptorium Fonts, spécialisée dans les adaptations de lettrages historiques.

Scriptorium Fonts est une fonderie basée à Austin, Texas, fondée en 1992 par le designer de jeu, éditeur et historien Dave Nalle. Cette drôle de fonderie numérique est spécialisée dans les adaptations de lettrages à la main d’anciens d’artistes ou calligraphes comme Alphons Mucha, William Morris, Willy Pogany, Arthur Rackham et Howard Pyle. Leur catalogue comprend actuellement plus de 600 titrages. Scriptorium Fonts offre des packs thématiques de caractères historiques se référant à des périodes artistiques spécifiques ou à des mouvements précis de l’histoire de l’art ou du graphisme.

La dernière re-création, le titrage de la revue Wendingen, une revue d’architecture et de design, publiée à Amsterdam de 1918 à 1932, qui fut l’une des plus importantes du mouvement Arts Décos.

Leur site, qui mériterait un design plus… contemporain : http://www.fontcraft.com/fontcraft/.

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Jean François Porchez ou L’excellence typographique, un ouvrage des éditions Adverbum.

Lorsque je l’ai rencontré aux environs de 1990, Jean François Porchez était déjà créateur de caractères. Moi, jeune graphiste à l’Atelier national de création typographique de l’imprimerie nationale dirigé par Peter Keller, et encouragée par celui-ci à y passer une ou deux années, j’avais choisi la position qui, à mon goût, était la plus confortable : regarder, étudier, essayer de comprendre. Passionnée par le graphisme et la mise en pages, je voulais connaître les secrets de la création de caractères, un domaine totalement fermé à l’époque où les savoir-faire se transmettaient de maître à disciple. Quelques semaines, quelques mois peut-être, ont suffi pour que je me rende compte que l’un parmi nous était déjà dans un autre monde.

C’était pour moi évident : Jean François, que je connaissais à peine, montrait déjà une incroyable maîtrise et ses recherches m’aidaient à voir les pourquoi et les comment du dessin de la lettre. J’avais trouvé un vrai “futur pro” et j’allais en profiter pour discuter pendant des heures et des heures et espionner, en toute amitié, la création en train de se faire. Déjà s’installaient les bases de sa pratique, une approche particulière du dessin, une maîtrise du tracé qui sera un peu sa signature, présente dans tous ses caractères, et un grand souci d’expliquer qu’il mettra en pratique dans sa pédagogie. Je n’ai jamais rencontré de professionnel aussi généreux, prenant autant de plaisir à partager son savoir. Souvent, par la suite, je l’ai appelé pour lui demander de m’expliquer telle ou telle chose ; à chaque fois, même débordé, il a pris tout le temps nécessaire pour me répondre.

Sa connaissance de la calligraphie a influencé sa manière d’aborder la lettre, sans jamais y amener un quelconque maniérisme : des courbes chaleureuses, généreuses, mises en valeur par contraste par des droites extrêmement tendues. L’esthétique de la lettre tient à peu de choses pourtant bien difficiles à mettre en place : une résonance de signe à signe, une palette de traits, un rythme, une structure, organisés selon une logique interne pour aboutir à une entité qui échappera à son créateur pour se laisser apprivoisée par d’autres. Et c’est bien là, le talent du dessinateur de caractères : concevoir des signes qui séduiront d’autres praticiens qui pourront grâce à eux affirmer leur écriture. J’ai souvent utilisé les caractères de Jean François Porchez, avec une préférence pour l’Apolline, le Parisine et le S